Terroirs solidaires : l’Italie face aux grands bouleversements

09/09/2025

Une culture du collectif : racines & renouveau

Si l’on pense souvent à l’Italie comme une mosaïque de petits producteurs jaloux de leur secret, son histoire agricole – et viticole – est au contraire profondément marquée par le collectif. Ce n’est pas un hasard si la première coopérative viticole d’Europe a vu le jour en 1890 à Trento, dans le Trentin–Haut-Adige. Aujourd’hui encore, plus de la moitié de la production viticole italienne (environ 52%, selon l’IVSIE, 2023) passe par quelque 4800 coopératives (source : Federvini, 2023).

  • Les consorzi di tutela : Ces organismes régulent et protègent quelque 334 AOP et IGP viticoles en Italie (données Ministero delle Politiche Agricole, 2023). Ils jouent un rôle clé face aux défis posés par les fraudes, la standardisation, et l’impact du réchauffement sur les cépages historiques.
  • Les food communities : De Modène à Palerme, Slow Food fédère des centaines de « comunità del cibo », où producteurs, artisans, chefs, consommateurs s’unissent pour faire vivre des pratiques respectueuses du goût, de la terre et des traditions.

Dans bien des cas, l’innovation se nourrit des racines. Les coopératives investissent dans la recherche agronomique, le partage d’outils de vinification ou d’embouteillage, et facilitent la transition vers le bio – 24% du vignoble italien est certifié biologique ou en conversion, soit la première surface viticole bio d’Europe (source : FederBio, 2023).

Climat : des réponses partagées face à l’urgence

Les saisons chamboulées, les vendanges avancées en pleine canicule, les maladies nouvelles… Pour les producteurs italiens, l’adaptation climatique n’est plus une option théorique mais une question de survie. La réponse collective s’organise sur plusieurs fronts :

  • Projets de recherche régionaux : Dans le Chianti Classico, l’Consorzio Chianti Classico pilote avec les universités de Florence et de Pise des expérimentations sur les clones de Sangiovese résistants à la sécheresse et aux nouvelles maladies. Plus au nord, dans le Piémont, le Consorzio Barolo Barbaresco Alba Langhe e Dogliani fédère vignerons et chercheurs autour de solutions pour affronter la diminution structurelle des ressources en eau.
  • Banques de cépages anciens : Des campagnes collectives, souvent sous la bannière Slow Food, réveillent des variétés oubliées (comme le Timorasso dans les Colli Tortonesi ou le Pecorino dans les Abruzzes), mieux adaptées à la sécheresse et porteuses d’une nouvelle palette aromatique.
  • Gestion commune de la ressource en eau : Dans la Plaine du Pô, un vaste réseau d’irrigation a été modernisé avec l’appui de milliers de petits producteurs, limitant les pertes et favorisant un partage beaucoup plus équitable.

Ce mouvement touche aussi la cuisine ! Certains regroupements de chefs italiens, à l’image de l’alliance Chef’s Circular Alliance, défendent une gastronomie alignée sur la saisonnalité stricte et le « zéro gaspillage », multipliant les ateliers éducatifs auprès des écoles.

Face au marché : se renforcer ensemble

L’Italie agricole n’ignore pas la pression du marché mondial, ni l’appétit croissant pour des produits « premium » qui valorisent histoire et authenticité. Les initiatives collectives jouent un rôle décisif pour soutenir les petits producteurs face à la concurrence des géants agro-industriels.

  • Consorzi et labels : Les AOP et IGP portées par les consorzi ne font pas que protéger le nom. Ils garantissent aussi la traçabilité, le respect d’un cahier des charges élevé et une identité régionale forte qui séduisent les consommateurs mondiaux : en 2022, selon ISMEA, les produits AOP et IGP italiens ont généré 20,7 milliards d’euros à l’export.
  • Groupements d’achat solidaires (GAS – Gruppi di Acquisto Solidale) : Ces associations, nées dans les années 1990 pour soutenir l’agriculture locale, rassemblent désormais près de 1500 groupes en Italie (source : ReteGAS), facilitant l’accès à des produits locaux, équitables et de qualité.
  • Exportation et formations communes : Des consortiums, comme celui du Prosecco DOC, organisent des formations à destination de leurs membres pour exporter tout en respectant les traditions. Être ensemble, c’est aussi se former ensemble !

Les circuits courts se multiplient : marchés fermiers collectifs (Farmer’s Markets de Campagna Amica, qui regroupe plus de 10 000 producteurs selon Coldiretti), collaborations avec la restauration scolaire, livraisons à domicile organisées par des coopératives innovantes (Valli Unite dans les Collines Tortonesi, Arvaia à Bologne…).

Traditions partagées, innovations inspirées

S’allier, c’est aussi se donner la force d’innover ensemble tout en faisant vivre le patrimoine. Exemple phare : le mouvement Slow Food, créé à Bra dans le Piémont en 1986, devenu un modèle mondial. Grâce à ses « Presìdi », ce sont près de 340 produits sentinelle (fromages au lait cru, charcuteries, variétés de haricots ou de tomates, pains rares…) qui sont maintenus en vie et commercialisés de façon solidaire.

  • Ateliers de transmission intergénérationnelle : À Matera, dans les Pouilles, des ateliers sont organisés entre jeunes et anciens autour du pain de blé dur local. En Emilie-Romagne, la Confraternita del Tortellino diffuse l’art du tortellino artisanal par des masterclasses ouvertes à tous.
  • Fêtes et événements solidaires : Chaque région a sa fête dédiée aux produits du terroir – Festa del Uva à Impruneta, Sagra del Pesce à Camogli… autant d’occasions où bénévoles et artisans se mettent au service du savoir-vivre collectif.
  • Incubateurs d’entreprises rurales : Les régions du Sud (Calabre, Sicile) misent sur des pôles qui soutiennent ensemble les jeunes porteurs de projets agricoles innovants, qu’il s’agisse d’agritourisme, de transformation de produits ou d’œnotourisme (voir l’initiative RIBES à Catanzaro, soutenue par l’UNIMED).

L’innovation ne rime pas ici avec standardisation, mais avec création de nouveaux liens qui enrichissent le tissu rural et urbain.

Focus : solidarité et renaissance après la crise

Quand la crise frappe, l’esprit collectif italien reprend tout son sens. L’épisode du tremblement de terre de l’Amatrice en 2016 reste un modèle du genre : en quelques semaines, plus de 700 producteurs du Lazio et d’ailleurs s’associent pour relancer la production et commercialiser l’Amatriciana, plat emblématique de la région, partout en Italie et au-delà. Une chaîne de solidarité relayée par de grands chefs comme Massimo Bottura, mobilisant des fonds pour la reconstruction (plus de 4 millions d’euros levés, source La Repubblica).

Ces gestes se répètent sur tout le territoire, lors d’inondations (Veneto 2020), de gelées tardives (Toscane 2021) ou de crises économiques. Le modèle ? S’appuyer sur les coopératives et consorzi pour réorganiser l’aide, mutualiser la commercialisation et redémarrer ensemble.

Ce que nous inspire la vitalité du collectif italien

Face à chaque mutation – qu’elle soit climatique, sociale ou économique – l’Italie prouve que la force du collectif peut rimer avec excellence. Mutualiser la recherche, valoriser la diversité, transmettre le geste et mettre du sens dans l’assiette : voilà des recette(s) non seulement pour surmonter les tempêtes, mais pour réinventer les terroirs du futur. Admirer cette vitalité, c’est aussi trouver l’inspiration pour nos propres manières de vivre, de consommer et de respecter la terre… où que l’on soit.

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