IGT, la nouvelle vague des vins italiens : menacent-elles vraiment DOC et DOCG ?

08/06/2025

Un paysage viticole en pleine révolution

Il y a encore vingt ans, en Italie, une bonne bouteille rimait systématiquement avec une appellation célèbre : Barolo, Chianti Classico, Brunello di Montalcino… Un gage de sérieux, une signature patrimoniale. Mais aujourd’hui, une catégorie a bousculé cet ordre établi : les vins IGT, ou “Indicazione Geografica Tipica”. Ces trois lettres suscitent la curiosité, intriguent les amateurs aguerris et interpellent même certains professionnels du secteur.

Faut-il voir dans les IGT de simples seconds rôles, ou seraient-ils en train de devenir de véritables challengers face aux DOC et DOCG, ces labels mythiques qui font la réputation mondiale du vin italien ? Tentons d’y voir clair, en mettant le nez dans le verre, sans snobisme, ni patinage réglementaire.

IGT, DOC, DOCG : comprendre les sigles et l’histoire

  • Vino da Tavola (VDT) : Le fondateur discret, désignant les vins de table italiens sans règle géographique ou qualitative très stricte. Partie basse de la pyramide.
  • IGT (Indicazione Geografica Tipica) : Créée en 1992, inspirée par la législation européenne. L’objectif : valoriser des vins qui n’entraient pas dans le carcan des appellations plus strictes (source : Federdoc, Consorzio di tutela).
  • DOC (Denominazione di Origine Controllata) : Apparue dans les années 1960, elle impose des règles précises : cépages, rendement, taille de la zone, degrés d’alcool, vieillissement… Plus de 330 appellations aujourd’hui (source : ISTAT, 2023).
  • DOCG (Denominazione di Origine Controllata e Garantita) : Niveau d’excellence, créée en 1980, encore plus exigeant (dégustation officielle, numéro de bouteille, etc.). On compte 78 DOCG (données 2023, Ministero dell'Agricoltura).

L’IGT naît donc d’un besoin : casser le moule sans perdre les racines. Car un grand vigneron veut parfois sortir des rails pour mieux exprimer son terroir ou sa philosophie. Lancer un Sangiovese 100% élevé en barrique en Toscane, planter du Cabernet Sauvignon dans les Pouilles, ou assembler un cépage autochtone oublié à un cépage international… autant de pratiques impossibles sous certaines DOC, mais permises avec une IGT.

Pourquoi les vignerons misent-ils sur l’IGT ? Quelques faits et anecdotes

L’histoire récente du vin italien regorge de cas où l’IGT a permis l’éclosion de véritables révolutions. Qui se souvient de la naissance des fameux “Super Toscans“ ? Ces vins iconoclastes, nés dans les années 1970, refusaient d’obéir aux lois du Chianti trop strictes de l’époque. Résultat : ils furent d’abord classés en Vino da Tavola, avant de devenir, après 1992, les locomotives de la catégorie IGT Toscane.

  • Sassicaia, d’abord Vino da Tavola, est aujourd’hui DOC Bolgheri Sassicaia (depuis 1994), mais son succès a ouvert la voie à la reconnaissance des IGT pour l’innovation (source : Wine Spectator).
  • Les IGT coulent aujourd’hui à flot : selon l’ISTAT, en 2023, l’Italie a produit près de 27 millions d’hectolitres de vins IGT sur un total de 48 millions, soit près de 56 % de la production nationale de vins à indication géographique protégée.
  • On compte plus de 120 IGT dans toute l’Italie, du Val d’Aoste à la Sicile.

Pourquoi un tel succès ? Les vignerons cherchent la liberté : ils peuvent innover, expérimenter, sortir des cépages “locaux” imposés, pratiquer des rendements faibles pour plus de concentration ou jouer sur des maturations différentes.

Autre avantage : le circuit de commercialisation. Les IGT, sur certaines zones, peuvent élargir leur marché, attirer des consommateurs plus jeunes et destinés à l’export (la Toscane exporte plus de 65% de ses IGT, source : Federdoc 2022).

Styles et terroirs : que valent vraiment les IGT dans le verre ?

Impossible de réduire les IGT à des vins “moins bons” que les DOC ou DOCG ! Leur diversité est un atout : il y a des styles modernes, opulents, mais aussi des crus artisanaux, aussi typés que le village voisin estampillé DOC.

Quelques exemples marquants

  • Toscane IGT : On retrouve ici des stars mondiales (Tignanello, Ornellaia), dont les prix dépassent largement ceux de bien des DOCG ! Ils font la part belle aux assemblages “à la bordelaise” (Merlot, Cabernet), tout en rendant hommage au Sangiovese dans une version plus internationale.
  • Veneto IGT : Des blancs étonnants, frais, à base de cépages locaux ou étrangers, parfaits pour découvrir des alternatives aux Soave ou Valpolicella classiques.
  • Sicilia IGT : Tremplin pour des vins solaires, souvent issus de cépages historiques (Nero d’Avola, Grillo) mais libérés des contraintes de l’appellation Sicilia DOC. L’IGT Terre Siciliane a ainsi porté l’explosion qualitative des vins siciliens depuis dix ans (Winesearcher, 2024).

Dans le verre, cela donne des vins parfois plus accessibles, parfois plus ambitieux, mais toujours avec une personnalité propre. Certaines cuvées d’IGT rivalisent avec les plus grands DOCG pour la complexité, la garde, et, surtout, le plaisir immédiat. L’amateur curieux y trouve un terrain de jeu inépuisable : on découvre, on est surpris, parfois désarçonné, rarement déçu tant la fourchette qualitative est large.

À noter, cependant : tous les IGT ne sont pas des pépites ! La gamme va du vin “plaisir simple à partager” (bouteilles à moins de 10€) à des chefs-d’œuvre à plus de 300€ (cuvée “Masseto” par exemple). Le nom du producteur reste donc un bon repère qualitatif.

Réglementation et contrôles : mythe d’une IGT plus laxiste ?

La croyance populaire voudrait que l’IGT soit une catégorie “fourre-tout”… Si elle est effectivement plus souple, elle n’est pas dépourvue de contrôle ! Pour décrocher le label IGT, un vin doit :

  • Respecter une aire géographique bien définie
  • Répondre à un cahier des charges (cépages, mode d’élaboration, degré minimal…)
  • Être soumis à des contrôles analytiques et sensoriels par des commissions indépendantes (Consorzio di Tutela, laboratoires agréés)

Par exemple, la Toscane IGT impose que 85 % minimum des raisins proviennent de la zone IGT, et que l’étiquetage soit transparent sur le millésime et les cépages utilisés (source : Federdoc).

On est donc loin de la jungle ! Simplement, les règles sont moins contraignantes qu’en DOC ou DOCG : moins d’obligation sur les cépages, la durée d’élevage ou les taux de rendement. Cela laisse une marge de manœuvre créative pour interpréter le terroir.

IGT vs DOC/DOCG : vraie concurrence commerciale ?

L’enjeu n’est plus seulement qualitatif, mais aussi économique : les chiffres témoignent d’une dynamique spectaculaire. Alors que la production de vins DOC a stagné (-1,2% en volume en 2023 selon ISTAT), les IGT ont progressé de 7% dans la même période. Sur le marché export, l’IGT progresse encore plus vite, avec une croissance de près de 9% par an sur les principaux marchés (États-Unis, Allemagne, Royaume-Uni) entre 2021 et 2023 (source : ICE Agenzia).

Sur les cartes des restaurants italiens à Paris, Amsterdam ou New York, on trouve aujourd’hui autant de cuvées IGT que de classiques DOC, preuve que le regard des sommeliers a changé. Les prescripteurs ne s’interdisent plus une cuvée parce qu’elle n’a pas le “label maximal”.

Même dans les ventes aux enchères, certaines IGT star brillent : le record pour une caisse de “Masseto” 2006 (IGT Toscana) a atteint 50.000 € chez Sotheby’s en 2022.

Enfin, le consommateur, surtout dans la tranche des 25-45 ans, apprécie cette nouvelle donne : selon une enquête Vinitaly (2023), 61% des jeunes amateurs italiens considèrent l’appellation “IGT” comme une marque d’authenticité et d’audace, et non comme une “sous-catégorie”.

Quel avenir pour les IGT ? Vers une complémentarité plus qu’une opposition

Appellations et IGT semblent moins adversaires qu’on ne l’imagine souvent. Les DOC et DOCG jouent un rôle précieux de conservatoire des traditions (protection des cépages autochtones célèbres ou menacés, typicité garantie), tandis que les IGT donnent de l’air, une respiration créative qui dope tout le secteur.

  • Le retour en force de cépages oubliés (Perricone, Cornalin, Pecorino) doit parfois tout à la souplesse de l’IGT.
  • L’IGT agit comme un tremplin : nombres de domaines l’utilisent pour expérimenter, avant parfois de passer en DOC… ou d’inspirer la création d’une appellation !
  • Inversement, le prestige DOCG rassure à l’export, ce qui reste essentiel pour le commerce “premium”.

Dans le futur, la tendance est à l’hybridation intelligente : des vignerons alternent les deux labels selon leurs cuvées, jonglent avec tradition et modernité. De nombreux “jeunes talents” revendiquent leur IGT non plus comme une déclinaison “facile”, mais comme une philosophie, une promesse de singularité.

Pour aller plus loin : conseils de dégustation et de découverte

  • Tester en parallèle un vin DOC et un IGT du même producteur et de la même région : une expérience souvent révélatrice !
  • Ne pas se laisser impressionner par l’appellation seule. La clé reste la curiosité, le dialogue avec le caviste, voire le contact direct avec les domaines.
  • Bouquiner, si la soif de savoir est là : “Vins d’Italie” d’Oz Clarke, “Native Wine Grapes of Italy” d’Ian D’Agata.
  • Suivre les tendances sur “Gambero Rosso”, “Decanter”, ou l’excellent “Wine Enthusiast” pour repérer les IGT star de demain.

L’IGT, plus qu’un label, c’est un état d’esprit : celui de la liberté, sans renoncer à la racine. Face aux DOC et DOCG, elles ne cherchent pas la guerre, mais inventent une nouvelle manière de raconter l’Italie, bouteille après bouteille. Au fond, le vin italien ne serait-il pas encore plus passionnant depuis que les IGT jouent aussi dans la cour des grands ?

En savoir plus à ce sujet :