Cépages d’Italie et climat qui change : lesquels sauvent la mise ?

16/08/2025

Le vignoble italien face au défi climatique

Quel amateur de vin n’a pas remarqué, ces dernières années, la montée en puissance des vendanges précoces, la fraîcheur qui se fait plus rare dans certains verres, ou ce soleil qui semble brûler un peu plus fort sur les collines ? L’Italie, ce pays-collier de terroirs et de traditions, voit son paysage viticole se transformer rapidement. Selon l’Istituto di Servizi per il Mercato Agricolo Alimentare (ISMEA), la production de 2023 a chuté de près de 12% par rapport à la moyenne des dix années précédentes, la météo extrême, entre sécheresse et canicule, ajoutant son grain de sel.

Mais tout n’est pas sombre : dans ce contexte, la force de l’Italie réside dans sa mosaïque de cépages autochtones, souvent ancrés aux terroirs depuis des siècles. Certains de ces cépages se révèlent être des alliés naturels pour faire face au climat actuel. Abordons ensemble ces variétés et les histoires derrière leur résistance.

Comprendre la résilience : qu’est-ce qui fait la force d’un cépage ?

Avant de plonger dans la liste des cépages “super résistants”, un petit détour par la cave s’impose : pourquoi certains raisins s’en sortent-ils alors que d’autres peinent sous 40°C ? Plusieurs critères entrent en jeu :

  • Capacité à tolérer la chaleur : Certains cépages continuent de mûrir lentement, même dans une ambiance surchauffée.
  • Résistance au manque d’eau : L’aptitude à survivre et produire de bons vins même en cas de sécheresse devient essentielle.
  • Plantes vigoureuses : Systèmes racinaires puissants, capacité à plonger dans les couches profondes des sols pour aller chercher l’humidité.
  • Feuillage “protecteur” : Certaines vignes déploient un feuillage dense qui protège les grappes des coups de soleil.

Voilà pourquoi de vieux cépages oubliés reviennent en force ; certains étaient tombés en désuétude précisément parce qu’ils avaient la réputation d’être “rustiques” ou difficiles à dompter !

L’Italie du sud : des origines brûlantes qui font la différence

Dans les terres arides du sud, on trouve des variétés locales qui ont toujours lutté contre le soleil. C’est tout sauf un hasard si elles se retrouvent aujourd’hui au devant de la scène.

  • Nero d’Avola (Sicile) : Ce cépage principal de la Sicile règne tel un roi sous la canicule. Il est même surnommé “le Syrah italien” ! Avec sa pellicule épaisse et sa croissance tardive, il supporte les étés extrêmes de la Sicile et donne des vins corsés, colorés, dotés d’une belle fraîcheur malgré la chaleur (voir Sicilian Wines).
  • Aglianico (Campanie, Basilicate) : Surnommé le “Barolo du Sud”, l’Aglianico donne le Taurasi ou l’Aglianico del Vulture. Il mûrit très tard, parfois jusqu’à novembre ! Résultat : il garde une acidité incroyable et une structure solide, même si le thermomètre s’emballe.
  • Greco et Fiano (Campanie) : Deux blancs du Sud qui gardent fraîcheur, tension et parfum sous la chaleur écrasante, grâce à une peau épaisse et une maturité tardive.
  • Primitivo (Pouilles) : Cousin du Zinfandel californien, le Primitivo fait bien dans le sud des Pouilles avec sa croissance rapide et sa résistance aux épisodes de sécheresse.

En 2022, selon l’Associazione Italiana Sommelier (AIS), le Nero d’Avola couvrait plus de 15 000 hectares, preuve de son succès face au stress climatique.

Le centre et le nord : de la fraîcheur perdue aux cépages “miraculeux”

On a souvent tendance à associer le centre et le nord à la fraîcheur et à la pluie ; pourtant, la plaine du Pô ou la Toscane connaissent aussi de vrais épisodes de chaleur (Canicule de 2022, Florence dépassant 42°C – source IlMeteo).

  • Sangiovese (Toscane, Émilie-Romagne) : Grande star de la péninsule, le Sangiovese occupe près de 72 000 hectares selon l’ISTAT (chiffres 2023). Il est assoiffé de lumière mais peut souffrir d’arômes trop mûrs si le soleil tape trop fort. Pourtant, certains clones à peau épaisse comme le “Prugnolo Gentile” (Vino Nobile di Montepulciano) encaissent de mieux en mieux la chaleur.
  • Vernaccia di San Gimignano (Toscane) : Ce cépage blanc a survécu aux siècles et aux modes. En plus de supporter la sécheresse, il conserve une acidité agréable sous des latitudes de plus en plus chaudes.
  • Lambrusco (Émilie-Romagne) : S’il a longtemps été cantonné aux vins effervescents fruités, le Lambrusco résiste remarquablement à la chaleur, grâce à une maturité rapide et une production naturellement élevée (source : Wine Searcher).
  • Pecorino (Abruzzes, Marches) : Nommé d’après les moutons qui broutaient sous ses ceps, le Pecorino revient en grâce grâce à ses qualités de résistance à la sécheresse et sa fraîcheur même à pleine maturité.

Un exemple marquant : la Tenuta di Valgiano, près de Lucques, expérimente sur ses vieilles vignes de Sangiovese et Canaiolo des tailles plus hautes pour protéger les grappes, tout en pariant sur des clones tardifs (dixit Gambero Rosso).

Nord extrême, montagne et fraîcheur retrouvée

Même les Alpes ne sont pas à l’abri du changement, mais elles offrent un paysage où certains cépages s’épanouissent, parfois mieux qu’ailleurs :

  • Teroldego (Trentin) : Surnommé le “prince du Trentin”, il supporte la chaleur des vallées alpines, tout en gardant tension et minéralité.
  • Schiava (Alto Adige) : Vin léger mais résistant, la Schiava évite la surmaturation grâce à sa capacité à supporter des saisons plus sèches en altitude.
  • Nebbiolo (Piémont, Valtellina) : Mythique pour les Barolo et Barbaresco, le Nebbiolo a des besoins particuliers : il craint l’humidité, supporte la chaleur s’il est planté haut, et sa peau épaisse le protège partiellement.

Prenons la Valtellina, où le Nebbiolo nommé “Chiavennasca” s’accroche à des terrasses jusque 700 mètres d’altitude ! Cela lui permet de garder une belle acidité malgré des étés plus chauds (source : Vini di Valtellina).

Des cépages qui font de la résistance : forces cachées et retours inattendus

  • Sagrantino (Ombrie) : Ce cépage produit parmi les vins rouges les plus tanniques du monde. Il a montré une capacité singulière à mûrir de façon harmonieuse malgré des étés devenus plus torrides autour de Montefalco.
  • Verdicchio (Marches) : Ce blanc, longtemps sous-estimé, remporte un succès international pour sa fraîcheur et sa salinité, même sur des millésimes “chauds”. Le Verdicchio peut vieillir, preuve de sa belle acidité préservée.
  • Glera (Vénétie, Frioul) : La base du Prosecco, dont la culture se concentre sur les collines aéroportées de la Vénétie, sait aussi mieux encaisser la chaleur grâce à un rendement maîtrisé et des vendanges avancées.

Fait marquant : En 2023, les surfaces plantées en Sagrantino ont augmenté de 11% dans la seule province de Pérouse (source : WineNews).

Anecdotes du terrain : quand tradition rime avec innovation

Le changement climatique pousse de nombreux vignerons italiens à redécouvrir les cépages anciens (“vitigni reliquia”) :

  • Au Domaine Feudi di San Gregorio (Campanie), on a replanté le Pallagrello Nero, un rouge oublié par les Bourbons, car il résiste bien à la sécheresse.
  • En Sicile, Arianna Occhipinti mise sur le Frappato pour ses rouges droits et juteux, grâce à leur maturité lente même sous un soleil de plomb.
  • Dans les Pouilles, le Susumaniello, longtemps marginal, assure une production fiable en cas de canicule.

La nouvelle tendance ? Marier “innovations douces” et patrimoine local : adaptation de la taille de la vigne, retours vers les arbres tuteurs (“alberello” dans le Salento), utilisation raisonnée de l’irrigation.

Comment ce renouveau impacte la table italienne ?

L’adaptation climatique des vignobles change aussi la façon de penser les accords mets-vins. Certains rouges, plus riches et mûrs, aiment aujourd’hui des plats plus épicés ou de recettes du sud, tandis que des blancs “survivants” (Greco, Verdicchio) accompagnent à merveille la cuisine méditerranéenne qui gagne des saveurs plus prononcées sous la chaleur.

Accords qui font mouche :

  • Nero d’Avola et caponata sicilienne
  • Sagrantino et agneau rôti aux herbes ombriennes
  • Pecorino (vin) et fromages éponymes des Abruzzes
  • Verdicchio et friture de poisson de l’Adriatique

Un vignoble en mouvement, un patrimoine à réinventer

La force du vignoble italien dans une période de bouleversements ? Une biodiversité unique au monde : plus de 545 cépages officiellement inscrits (source : Ministero delle Politiche Agricole, 2023), et une capacité à rebondir, entre tradition et innovation. Le climat change, les habitudes aussi… Mais la curiosité, elle, reste intacte. Chaque bouteille devient le témoignage vivant d’une adaptation, d’une transmission et d’un futur à inventer à plusieurs mains.

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