Italie : Les secrets de l’essor des vins nature chez les vignerons

03/07/2025

Démystifier le vin nature : de quoi parle-t-on vraiment ?

Avant de parler d’engouement, faisons simple : qu’est-ce que le vin nature, exactement ? À la différence des AOC/AOP classiques ou du bio certifié, il n’existe pas de cahier des charges unique. Mais la philosophie est claire : aucun intrant œnologique (sauf parfois une pointe de soufre à la mise en bouteille), une vinification spontanée avec les levures indigènes (celles du raisin et du chai), pas de filtration ni de collage, un respect total de la vie du sol et de la vigne.

  • Raisins issus de l’agriculture biologique (biodynamie parfois, mais pas toujours)
  • Pertes de rendement assumées : pas de traitements chimiques, vendanges manuelles
  • Rien ajouté, rien enlevé (ou presque) du pressoir à la bouteille

Pas de recette universelle, mais une volonté : ne proposer qu’un raisin, un vigneron, une année, un terroir. Cette démarche, née de petites caves confidentielles comme on en trouve à Beaujolais, dans le Jura ou la Loire, fait tache d’huile depuis vingt ans sur tout le vignoble italien.

Une histoire italienne des vins nature : racines et basculement

L’Italie, c’est 20 régions, plus de 350 cépages autochtones, un enchevêtrement d’appellations parfois confidentielles. Paradoxalement, la révolution nature est née à la marge, sur fond de crise d’identité. Revenons à l’aube des années 2000 : l’Italie viticole sort à peine de décennies marquées par l’industrialisation, les gros rendements, et – n’ayons pas peur des mots – plusieurs scandales, dont celui du vin au méthanol dans les années 1980 (Le Monde).

Les consommateurs, notamment à l’étranger, réclament des vins “propres”, typés, sincères. Quelques pionniers se détournent alors des modes bordelais ou supertoscanes pour rendre la parole à leurs raisins : Angiolino Maule dans la Vénétie, les frères Poderi Sanguineto en Toscane, Cornelissen sur les pentes volcaniques de l’Etna, ou encore Radikon en Frioul. Leur point commun ? Assumer des vins parfois “troubles”, dont la couleur et le goût sortent des sentiers battus, mais racontent leur terre. Au fil des années 2000-2010, ce qui n’était qu’une petite niche rebelle s’étend : aujourd’hui, on estime à plus de 1300 domaines “nature” en Italie, un nombre en croissance de près de 10% par an depuis 2017 (Gambero Rosso, 2023).

Pourquoi cette soif de nature ? Motivation des vignerons italiens

Plusieurs facteurs expliquent ce passage au vin nature, dans la Botte plus qu’ailleurs :

  • Recherche de l’authenticité : face à la standardisation, l’envie de (re)trouver le goût du cépage, du cru, du climat.
  • Respect du terroir et vision éthique : pollution des sols, dérèglement climatique, perte de biodiversité… De jeunes vignerons (souvent issus d’autres horizons !) cherchent à “réparer” la vigne, à revaloriser de vieux cépages oubliés.
  • Révolution générationnelle : beaucoup de domaines sont repris par les enfants ou petits-enfants, passés par les bancs d’écoles œnologiques en France et ailleurs.
  • Facteur économique : sur des micro-parcelles, produire bio ou nature permet parfois de vendre à de meilleurs prix, auprès de clients plus fidèles.
  • Tendance gastronomique : l’engouement des chefs italiens, du Piémont à la Sicile, encourage boutiques, cavistes et bars à vins à s’approvisionner nature.

Portraits de domaines et figures-clés du vin nature italien

Mieux qu’un manifeste, ce sont des vignerons, femmes et hommes, qui incarnent ce renouveau. Quelques noms à retenir :

  • Angiolino Maule (La Biancara – Vénétie) L’un des “pères” du vin nature italien. Dès les années 1980-90, il plante la bannière du “Vini Veri” : ni soufre ni maquillage. Sa cuvée Sassaia (Garganega, Trebbiano) est aujourd’hui une référence mondiale.
  • Josko Gravner & Stanko Radikon (Frioul) Les deux voisins de l’extrême nord-est italien révolutionnent le blanc par la macération pelliculaire. Plus de filtre, de la longue patience en amphore, des vins orange fascinants (et parfois clivants).
  • Frank Cornelissen (Sicile, Etna) Belge d’origine, visionnaire radical, il pousse l’expérimentation autour du Nerello Mascalese dans un paysage de cendres et de roches noires. Ses crus Magma atteignent des cotes de 300 € et plus.
  • Poderi Sanguineto (Alba – Toscane) Dora Forsoni, une des rares vigneronnes autodidactes, livre depuis 20 ans des vins nature de Sangiovese d’une finesse unique.
  • Colombaia (Chianti) Petit domaine familial, symbole de la “nouvelle vague”, primée par Slow Wine 2023, qui produit des vins sans intrants depuis 2003.

Des régions pionnières aux nouveaux territoires : où pousse le vin nature ?

Longtemps, certains pensaient que seuls les terroirs septentrionaux (Frioul, Vénétie, Piémont) pouvaient “supporter” la vinification nature. C’est faux : la carte du vin nature italien s’étend de la Sicile aux Marches, en passant par la Sardaigne, le Latium ou l’Ombrie. Une diversité extraordinaire ! Quelques tendances :

  • Le Piémont (Barbera, Dolcetto, Nebbiolo) reste la locomotive avec plus de 200 domaines enregistrés au réseau Vini Naturali
  • Le Frioul et la Vénétie cumulent plus de 150 caves “radicales”
  • La Sicile, région en pointe sur la biodiversité du vignoble, compte désormais près de 80 vignerons inscrits à l’association Vini Veri
  • Même les terres traditionnelles du Chianti ouvrent leurs rangs (la région toscane dénombre une cinquantaine de vignerons nature)

Certains chiffres frappent : les ventes nationales de vins certifiés bio ou nature atteignent près de 2,4 millions d’hectolitres en 2022 (source : Wine Business). Et le secteur représente environ 9% de la production totale de vin en Italie – un chiffre qui grimpe année après année (Union Italienne des Vins, 2023).

Entre critiques, polémiques et authenticité : les défis du vin nature italien

La réussite du vin nature cache aussi sa part de débat. On reproche parfois à certains vins d’être “imprévisibles”, voire imbuvables si la vinification dérape. S’ajoute à cela une faible protection du consommateur (absence de label officiel, définition floue), ce qui permet à de faux “vins naturels” d’inonder le marché — une arnaque que dénoncent l’association Vinnatur ou l’ONG SLOW WINE.

Malgré tout, l’essor de salons spécialisés comme Vinnatur à Vicenza (plus de 200 exposants en 2024), Vini Veri ou encore RAW Wine Fair démontre la vitalité et la transparence croissante du secteur. La demande, elle, explose : plus de 24% des ventes de vins naturels en Italie se font auprès de moins de 35 ans (source : Il Sole 24 Ore).

Accords mets-vins et gastronomie : la nature en cuisine

Difficile de parler de vins italien sans penser à la table ! Ce retour aux vins moins “technologiques” inspire aussi des chefs, de la trattoria à l’étoilé. On l’observe à Milan chez Cesare Battisti (Ratanà) ou à Palerme chez Pino Cuttaia (La Madia).

  • Le vin nature blanc “macéré” sublime les antipasti de mer, les poissons crus, ou des pâtes à la poutargue.
  • Un rouge vif et léger, type Barbera nature du Piémont, relève une pizza napolitaine ou une caponata sicilienne.
  • Les vins orange de Gravner, avec leur structure tannique, font merveille sur fromage affiné ou plats épicés.

Les sommeliers italiens retrouvent là tout le plaisir d’oser des accords inattendus, la main libérée du cadre strict des appellations classiques.

Vins nature : une révolution douce qui s’installe

La vague nature ne se limite plus à un effet de mode. Les vignerons italiens qui font ce choix aujourd’hui défrichent une voie exigeante, parfois risquée, mais porteuse de sens et d’avenir. Pour le consommateur : à chaque bouteille, une histoire, un paysage, une voix singulière du terroir. Pour la vigne : un pari sur la longévité et la régénération. Les chiffres, la notoriété des salons, le relais des grandes tables italiennes montrent que le vin nature, loin du folklore, est un laboratoire d’idées, de savoir-faire, de diversité.

Boire nature, c’est peut-être la plus italienne des façons de fêter la vie : sans fard, avec franchise et générosité, autour d’une table où, derrière chaque verre levé, on entend battre le cœur d’une région.

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