Climat et vins italiens : Ce qui change dans votre verre

03/09/2025

La météo italienne : entre extrêmes et contrastes

L’Italie, c’est 1300 kilomètres du nord au sud, mais aussi près de 20 grandes régions viticoles du Piémont à la Sicile, en passant par les Alpes, les Apennins, la mer. On y trouve tous les climats, du frais Dolomiti au torride Salento. Depuis vingt ans, la tendance est nette : hausse des températures, précipitations plus irrégulières, vagues de chaleur plus précoces (source : Istituto Superiore per la Protezione e la Ricerca Ambientale, ISPRA – 2024).

  • Depuis 1990, la température moyenne italienne a augmenté de 1,2 à 1,4°C (ISPRA).
  • Des régions septentrionales comme la Vénétie battent des records de chaleur estivale (jusqu’à 39°C en 2022, source : Corriere della Sera).
  • Les épisodes de grêle et de sécheresse sont de plus en plus fréquents : en 2023, plus de 60 jours sans pluie dans certaines zones du Chianti (Coldiretti).

La conséquence ? Ce qui mûrit dans la vigne n’a plus tout à fait la même physionomie qu’il y a vingt ou trente ans.

Sous le soleil, la maturité : sucre et alcool en hausse

Le premier effet visible, c’est la précocité de la maturation. Les vendanges commencent de plus en plus tôt : dans le Valpolicella, elles s’ouvraient traditionnellement à la fin septembre, aujourd’hui elles démarrent mi-août ou tout début septembre (Fondazione Mach). Même constat dans le Barolo, terroir réputé frais, où 2022 a vu la récolte avancer de près de deux semaines.

Qu’est-ce que ça change dans le verre ?

  • Les raisins accumulent plus de sucre, ce qui veut dire plus d’alcool après fermentation, souvent 14,5 à 15% pour des rouges comme le Primitivo ou l’Amarone, soit 1° de plus qu’il y a vingt ans (source : Consorzio Amarone della Valpolicella).
  • La maturité rapide du raisin peut entraîner une perte d’acidité, la colonne vertébrale du vin italien, tant recherchée dans des rouges comme le Chianti classico ou des blancs tels que le Verdicchio.
  • Moins d’acidité, c’est des vins au profil plus rond, parfois “lourd”, voire confituré, qui perdent en fraîcheur cépage après cépage.

Le goût s’en ressent : on croise davantage de rouges italiens où la puissance l’emporte sur la finesse, où le fruit se fait mûr, solaire, voire cuit. C’est parfois gourmand, mais la grande identité italienne – fraîcheur et tension – se met en retrait.

Le nez du vin : arômes, équilibre et surprises

Le climat, ce n’est pas juste une affaire de sucre et d’acidité : il joue aussi sur les arômes et la structure des vins.

  • Des blancs comme le Pinot Grigio ou le Gavi, historiquement sur la poire et la pomme verte, penchent de plus en plus vers l’abricot, la pêche, parfois l’ananas.
  • Des rouges de Nebbiolo du Piémont, qu’on imagine sur la rose fanée et la cerise, montrent plus de prune, de fruits noirs, de notes de garrigue… Typique de la surmaturation.
  • La structure peut se déséquilibrer : tanins plus marqués, alcool dominant, bouche plus ample mais moins ciselée – on le ressent sur certains Sagrantino d’Umbria ou même sur le Brunello di Montalcino.

A noter : l’intensification du climat donne parfois des profils aromatiques inédits, voir même une complexité nouvelle sur certains millésimes extrêmes, mais c’est difficile à maîtriser d’une année sur l’autre.

Itinéraire dans les régions : anecdotes et visages du changement

Nord : Dolomites, Piémont, Lombardie – La fraîcheur menacée 

Dans le Trentin, l’altitude permettait jusqu’à récemment de garantir des vins de montagne croquants. Mais désormais, même à 500 mètres, les températures grimpent. La famille Foradori adapte ses méthodes : elle augmente les ombrages sur les rangs, teste la permaculture, ou déplace certaines parcelles vers le nord (Famiglia Foradori).

En Franciacorta, la prestigieuse bulle italienne, les producteurs commencent parfois à planter des vignes “plus haut dans la colline” pour retrouver fraîcheur et tension. Tiereno, producteur de la région, note qu’en 2022, il a coupé l’irrigation deux semaines en août pour freiner l’accélération de la maturité.

Toscane : Les défis des rouges iconiques

Dans le Chianti classico, en 2023, le Sangiovese a souffert de la sécheresse et de la chaleur. Résultat : des skins plus épaisses sur le raisin, des tanins plus présents, moins d’arômes floraux… Les domaines comme Castell’in Villa retiennent la leçon et cherchent à préserver leurs vieilles parcelles plus ombragées ou plus profondes, où la vigne puise en profondeur.

Puglia, Sicile, Calabre : L’exubérance du sud, un atout revisité

Dans les Pouilles, la chaleur était déjà là. Mais aujourd’hui, elle monte encore d’un cran : sur 20 ans, la température moyenne d’été a augmenté d’1,3°C (Coldiretti). Les Primitivo de Manduria atteignent des sommets d’alcool et les blancs locaux peinent à garder leur acidité. Pour compenser, certains vignerons comme ceux du domaine Leone de Castris misent sur des vinifications en cuves inox très basses températures, et vendangent de nuit pour préserver ce léger croquant, si rare sous ces latitudes.

En Sicile, paradoxalement, l’altitude (Etna, Val d’Agrò) sert de refuge. Les Nerello Mascalese ou le Carricante restent d’une belle fraîcheur mais les épisodes de chaleur extrême rendent les millésimes difficiles à prédire. Les vignerons, comme la famille Benanti, misent énormément sur la diversité des parcelles pour “lisser” les effets du climat.

Savoir-faire vigneron : comment les Italiens s’adaptent

Le changement climatique, c’est un défi, mais aussi un moteur d’ingéniosité. Les vignerons italiens multiplient les solutions pour défendre l’identité de leurs vins :

  • Recherche de la fraîcheur : plantation à plus haute altitude, orientation nord-est, augmentation de la densité de plantation pour créer un microclimat ombragé.
  • Vendanges anticipées : la cueillette de plus en plus tôt pour conserver acidité, arômes, et limiter le degré alcoolique.
  • Modification de l’encépagement : retour ou introduction de cépages rustiques et anciens, tolérants à la chaleur (Grillo, Frappato, Fiano, Timorasso…)
  • Gestion du feuillage et de l'irrigation : feuillage plus développé pour ombrer les grappes, irrigation raisonnée si la réglementation l’autorise.
  • Micro-vinifications : fractionnement de la vendange (par parcelle, maturité), emplois de levures locales plus résistantes, essais sur l’élevage (foudres, amphores, bâtonnages légers…)

Selon l’Organisation Internationale de la Vigne et du Vin (OIV), près de 30 % des exploitations italiennes ont déjà modifié leurs pratiques culturales en réponse au climat depuis 2010.

Le changement climatique, entre risques… et nouvelles opportunités

  • Risque pour les petits terroirs : Les crus mythiques comme Barolo, Barbaresco, ou certains sites de l’Etna de moins d’1 km² risquent de perdre ce goût “inimitable” qui fait leur prestige mondial.
  • Évolution des styles : Le Prosecco docg, habituellement tout en légèreté, voit fleurir des cuvées plus mûres, parfois demi-secs, pour compenser l’évolution du profil aromatique, et répondre à une clientèle internationale (source : Consorzio Prosecco).
  • Apparition de nouveaux terroirs : On replante dans les Apennins, dans des zones autrefois impensables pour la vigne (province de L’Aquila, dans les Abruzzes, ou Aoste tout au nord).
  • Adaptation de la gastronomie : Certains chefs s’adaptent, proposant plus de mets frais, crus ou acidulés pour des accords modernes avec ces “nouveaux” profils de vins (voir Carte Blanche, restaurant à Turin, focus sur le pairing Nebbiolo au profil évolutionné et ceviche de poisson local).

Perspectives d’avenir : ce que boiront les générations futures

La péninsule italienne n’a jamais cessé d’évoluer, en témoigne la diversité des cépages (plus de 350 autochtones recensés) et des styles, parfois ressuscités de l’oubli. Mais la rapidité du changement climatique interpelle. Des études récentes, notamment de l’Université de Milan (2023), estiment que 30 à 50 % des terroirs italiens “classiques” seront “exposés à un risque fort” sur la qualité ou la typicité du vin d’ici 2050 si la trajectoire actuelle n’est pas infléchie.

À quoi ressembleront les vins italiens dans 20 ou 30 ans ? Sans tomber dans le pessimisme, il est déjà évident que les styles vont continuer à évoluer : retour de blancs plus frais venus des hauteurs, rouges autrefois puissants qui gagnent en douceur, nouveaux assemblages, surprises régionales inédites. Le défi italien restera celui du respect de l’identité, tout en puisant dans ce vivier inouï de créativité et d’adaptation.

L’Italie, pays de la beauté changeante, trouve finalement dans la diversité et l’imagination la clef pour que la magie du vin, peu importe les caprices du ciel, continue à se raconter dans le verre – et sur les tables du monde entier.

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