Vins naturels en Italie : entre passion, risques et chemins de traverse

21/07/2025

Comprendre le vin naturel italien : un mouvement en marge, mais en progrès

Impossible d’évoquer la notion de « vin naturel » sans s’arrêter sur son flou artistique. Contrairement au bio ou au vin biologique, le vin naturel n’a pas encore de définition officielle au niveau européen. Cela vaut aussi pour l’Italie. Pourtant, il existe aujourd’hui près de 700 domaines revendiqués « naturels », selon le collectif Vinnatur ou l’association ViniVeri, organisateurs de salons références sur la scène italienne (source : Slow Wine Guide, 2023).

Le vin naturel italien se revendique comme suit :

  • Utilisation exclusive de raisins issus de l’agriculture biologique ou biodynamique
  • Pas ou très faible ajout de sulfites (généralement moins de 30 mg/l, contre souvent 150-200 mg/l en conventionnel)
  • Aucune utilisation de levures ou enzymes étrangères au raisin
  • Interventions manuelles dans la vigne et au chai au strict minimum

L’Italie, avec sa tradition cultivant le petit propriétaire, a toujours eu un vivier fertile pour ce genre de viticulture. Pourtant, la route est semée d’embûches.

Climat extrême et changements météorologiques : le défi premier

Ces dernières décennies, la météo italienne est devenue capricieuse : printemps humides, sécheresses estivales, canicules précoces et grêles inattendues. Quand on refuse les traitements chimiques, comme le cuivre ou le soufre de synthèse, chaque saillie du climat devient un défi de taille.

  • Mildiou et oïdium : Les années humides, ces maladies fongiques peuvent ravager des récoltes entières. En 2023, on estime que certaines zones (notamment en Emilie-Romagne, Frioul et Piémont) ont perdu jusqu’à 60 % de leur récolte en bio/naturel (WineNews).
  • Sécheresse et chaleur excessive : Les racines doivent plonger plus profond, la vigne souffre et produit moins… ou, à l’inverse, des raisins trop riches en sucre, menant à des vins déséquilibrés si le vigneron ne maîtrise pas ses extractions.
  • Pression du changement climatique : La fenêtre de vendange se réduit, obligeant parfois à vendanger trop tôt ou trop tard par rapport à la maturité phénolique idéale.

Le vin naturel demande une attention de chaque instant et un vrai courage quand la nature se rebiffe. C’est pour cela que peu de domaines franchissent réellement le pas, et qu’on compte les pionniers sur les doigts des deux mains dans certaines régions.

L’absence de cadre légal : zones grises et crédibilité fragile

L’Italie adore les traditions… mais elle affectionne aussi la complexité de ses normes. Or, à ce jour, il n’existe toujours pas de label officiel ni cahier des charges reconnu pour les vins naturels en Italie.

  • Pas d’appellation «vin naturel» : Les producteurs naviguent sans cadre légal, vulnérables aux discours marketing opportunistes. Cela nourrit parfois la suspicion chez les amateurs, ainsi que la méfiance de certains sommeliers italiens eux-mêmes.
  • Sanctions et contrôles difficiles : Impossible d’agir contre les fausses déclarations, à la différence du « bio » ou du « D.O.C.G. » où les contrôles sont assurés.
  • Risques de confusion : Pour un amateur, difficile de comprendre la différence entre «bio», «nature», «biodynamique», «vin orange»… Ce brouillard nuit au travail des artisans sincères.

Il se murmure qu’un projet de cadre européen pourrait enfin voir le jour d’ici 2025, porté par la France et l’Italie, mais le chemin reste long (Vitisphere).

Le casse-tête financier : petite production, investissements lourds

Faire du vin naturel, c’est refuser la productivité à tout prix. Les rendements à l’hectare sont plus bas, la main-d’œuvre plus importante (car tout est fait à la main ou presque), et les risques de « casse » lors de la vinification sont réels.

Type de production Rendement moyen (hl/ha) Main d’œuvre (jours/an/ha) Prix minimum de vente bouteille
Conventionnelle (Italie moyenne) 70 20 4-6 €
Bio ou naturel 30-40 45-60 12-30 €

Sources : ISMEA, Slow Wine, rapports salons ViniVeri

  • Coûts à l’hectare plus élevés : À cause du travail manuel et du besoin d’observer la vigne en continu.
  • Moins de subventions: L’Italie favorise dans ses aides publiques les grandes exploitations ou des démarches certifiées « bio » reconnues, pas encore pleinement les petits producteurs naturels.
  • Un marché de niche: Peu de domaines naturels écoulent plus de 50 000 bouteilles/an, la majorité tourne autour de 10 000. Difficile, dans ces conditions, de peser sur les prix ou d’investir pour l’avenir.

Conséquence ? Le vin naturel s’adresse à un public restreint, souvent averti, prêt à payer plus cher pour la transparence et la qualité. Et pourtant, l’Italie est championne de petits miracles, où des vins naturels de qualité surgissent dans les coins les plus inattendus, du terroir volcanique de l’Etna aux franges des Alpes frioulanes.

Pression du marché et distribution : entre engouement et scepticisme

Loins sont les jours où le « vino naturale » était réservé à quelques initiés dans des bars branchés de Milan ou Florence. Le marché explose : en 2022, on estime que les ventes de vins naturels ont progressé de 18 % en Italie par rapport à 2020 (source : Gambero Rosso), et la demande internationale, notamment en France, États-Unis ou Scandinavie, suit la même courbe.

Mais cet engouement ne va pas sans heurts :

  • La distribution reste sélective: Les circuits classiques (cavistes, GMS, restaurateurs) restent frileux face à des vins parfois « déroutants » ou variables d’un millésime à l’autre.
  • Conservation compliquée: Sans sulfites, le vin naturel est plus fragile. Entre le chai et la table du consommateur, un été caniculaire ou un transport négligé peut ruiner le travail du producteur.
  • Attente de l’authenticité: Le public veut du goût, de l’histoire… mais reste souvent déconcerté par des profils aromatiques loin des standards. Beaucoup de critiques italiennes, dont Il Fatto Quotidiano, racontent régulièrement comment certains consommateurs sont surpris (voire déçus) de la différence avec des vins « normés ».

Le défi du goût et de la constance : entre terroir et acceptation

Prodiguer un vin naturel, c’est accepter l’imprévu. Absence de filtration, interventions minimales, fermentation sur levures indigènes… Autant de choix qui font la beauté du vin, mais engendrent parfois :

  • Des profils aromatiques changeants : D’un millésime à l’autre, le vin d’un même producteur peut être radicalement différent. Parfois trouble, avec une légère effervescence ou un goût marqué de pierre à fusil.
  • Le risque de « défauts » : Volatiles élevées, odeurs animales ou réduction… Certains consommateurs assimilent à tort ces singularités à des défauts, alors qu’ils témoignent bien souvent du travail artisanal et de la vie du vin.

Pour le producteur, il s’agit alors d’expliquer, d’éduquer, de partager son métier et ses choix, à l’instar de Vittorio Graziano, l’un des pionniers d’Émilie-Romagne, qui s’invite régulièrement dans les salons pour faire goûter et raconter son Lambrusco nature : « Mon vin, c’est avant tout le reflet de ma vigne et de mon humeur… prenez-le comme un ami, imparfait mais sincère. »

Rôle des salons et collectifs : structurer la filière, promouvoir la transparence

Face à l’absence de cadre, plusieurs associations se sont créées, à l’image de Vinnatur, ViniVeri, TripleA ou Raw Wine. Leur mission : offrir de la visibilité, créer des cahiers des charges (internes, non officiels), débattre, sensibiliser le public à la démarche.

  • Salons dédiés : En 2023, l’Italie a accueilli plus de 50 salons liés au vin naturel, dont les célèbres événements de Fornovo, de Cerea (près de Vérone) ou de Bari au sud.
  • Échanges entre producteurs : Lieux cruciaux pour le partage d’expériences, d’astuces agricoles ou œnologiques.
  • Éducation du consommateur : Ces collectifs éditent des guides, organisent des ateliers « découverte », participent à des émissions sur la RAI ou collaborent avec des écoles hôtelières.

Vers un avenir plus clair ?

Les vignerons naturels italiens font preuve d’une résilience remarquable. Portés par leur amour du terroir, ils affrontent des aléas à la fois économiques, climatiques et réglementaires. Si le chemin reste long, leur dynamisme inspire de plus en plus de jeunes domaines, y compris dans des appellations ultratraditionnelles comme Barolo ou Chianti Classico.

Avec l’arrivée possible d’un label officiel, la sensibilisation du grand public et l’évolution des goûts, la scène italienne devrait continuer à vibrer au rythme des vins naturels. Moins « mode » que sincère, ce mouvement est la preuve que le vin, en Italie, reste d’abord une affaire de patience, d’émotions et de partage autour de la table.

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