Des terroirs à l'honneur : l’ascension des appellations italiennes de DOC à DOCG

18/05/2025

Un coup d’œil sur les labels : comprendre la hiérarchie DOC et DOCG

La première fois que l’on se frotte aux vins italiens, c’est un peu comme ouvrir la carte d’un grand restaurant : au début, c’est fouillis. Entre l’effervescence des régions, des cépages et ces trois lettres mystérieuses sur l’étiquette – DOC, DOCG, et parfois IGT – il y a de quoi s’y perdre. Alors, pour poser les bases : la classification des vins en Italie, que l’on pourrait comparer à l’AOC en France, vise à garantir la qualité, l’origine et l’authenticité des vins, tout en valorisant les terroirs.

  • DOC (Denominazione di Origine Controllata) : instaurée en 1963, elle certifie qu’un vin est produit dans une zone déterminée, selon un cahier des charges précis (cépages, rendements, méthodes…).
  • DOCG (Denominazione di Origine Controllata e Garantita) : apparue en 1980, il s’agit du niveau supérieur. Ici, le mot important c’est « Garantita » : contrôle encore plus strict, dégustation à l’aveugle obligatoire avant la commercialisation, numérotation des bouteilles, limitations des rendements encore plus drastiques.

Dans les années 1980, le passage de certaines DOC à DOCG n’a pas seulement été un « upgrade » administratif. Cela a souvent marqué la reconnaissance nationale et internationale d’un territoire viticole arrivé à maturité, prêt à tutoyer l’excellence.

Pourquoi passer du DOC au DOCG ? Enjeux, critères et petite histoire

Passer du statut DOC à DOCG, c’est un peu comme décrocher une étoile au Michelin quand on est chef. Il ne suffit pas de faire du bon vin. Il faut prouver l’excellence constante du terroir, montrer patte blanche à l’administration… et convaincre à l’aveugle lors de la fameuse dégustation avant la mise en marché.

Les principaux critères de passage

  • Ancienneté et réputation : il faut prouver au moins 10 ans de DOC et une reconnaissance du vin et du terroir sur la durée.
  • Cahier des charges plus strict : le DOCG resserre fortement sur les cépages autorisés, les méthodes de culture et de vinification, les taux d’alcool minimums, les rendements à l’hectare (souvent abaissés autour de 52-54 hl/ha contre 60-70 hl/ha pour de nombreuses DOC – source : Federdoc).
  • Contrôles récurrents : chaque lot destiné à la vente subit non seulement des analyses chimiques, mais surtout une dégustation à l’aveugle effectuée par une commission officielle.
  • Traçabilité impeccable : toutes les bouteilles DOCG disposent d’une bande numérotée garantie par l’État. Impossible de tricher ou de mélanger des cuvées !

L’évolution réglementaire au fil du temps

La première DOCG à voir le jour, c’est le Vino Nobile di Montepulciano en 1980, talonné la même année par le Barolo et le Brunello di Montalcino. Depuis, le mouvement a concerné des dizaines d’appellations. En 2024, l’Italie compte 77 DOCG, contre 330 DOC (source : Federdoc, 2024).

  • Dans certains cas, le passage à la DOCG n’est pas immédiat malgré une immense réputation. Le Chianti Classico, par exemple, doit patienter jusqu’en 1984 pour accéder à la DOCG, alors que le Chianti “tout court” l’avait obtenu l’année précédente – ce qui illustre bien une certaine complexité administrative !

Des exemples marquants de passages DOC à DOCG

Certains noms résonnent comme des légendes : Amarone della Valpolicella, Barolo, Brunello di Montalcino, Franciacorta… Mais chacun de ces terroirs a suivi un chemin singulier.

Le Brunello di Montalcino : un cas d’école

Longtemps vin de niche et trésor de Toscane, le Brunello a obtenu sa DOC en 1966 et sa DOCG dès 1980. Ici, la montée en gamme ne s’est pas faite que sur la notoriété, mais aussi sur la reconnaissance d’un savoir-faire unique : cépage 100 % Sangiovese Grosso, élevage minimum de 4 ans (6 ans pour la riserva), rendements limités à 54 hl/ha, et un terroir argilo-calcaire de collines (“galestro”). Cette exigence paie : seulement 5 millions de bouteilles par an, mais des prix parmi les plus élevés d’Italie, et une cote internationale stable (source : Consorzio del Vino Brunello di Montalcino).

Le Prosecco : l’histoire d’une ascension fulgurante

Si l’on pense à l’image conviviale et pétillante du Prosecco, difficile d’imaginer qu’il n’accède à la DOCG qu’en 2009 pour les zones historiques de Valdobbiadene et Asolo, distinguées de la “simple” DOC Prosecco, plus vaste. Cette séparation marque la volonté de valoriser le terroir originel, face à la standardisation liée au succès explosif (plus de 600 millions de bouteilles de Prosecco vendues en 2023, toutes catégories confondues – source : Istat).

L’Amarone della Valpolicella : un processus exigeant

L’Amarone della Valpolicella, passé DOCG en 2010 (la DOC existait depuis 1968), est le fruit d’un processus long, car ce vin – issu de raisins passerillés (séchés sur claies pendant 100 à 120 jours) – exige une régularité de qualité difficile à atteindre. Les contrôles sur la maturation, les rendements, et l’élevage (minimum 2 ans en barrique pour l’Amarone, 4 ans pour la Riserva) sont désormais drastiques, avec une production annuelle d’environ 14 millions de bouteilles (source : Consorzio per la Tutela dei Vini Valpolicella).

Que change concrètement ce passage pour le vigneron, le terroir, et l’amateur ?

  • Pour le vigneron : l’acquisition du statut DOCG peut valoriser son travail et lui permettre de mieux vendre ses vins (avec des prix parfois doublés, voire triplés). Mais c’est aussi une course d’obstacles administratifs, qui exige des investissements en cave, en vignoble, et une grande rigueur de tous les instants.
  • Pour le terroir : la DOCG devient un label d’excellence, mais aussi un facteur d’identité forte. Paradoxalement, cela peut aussi accentuer les tensions au sein d’une même région (par exemple, la distinction entre Chianti “simple” et Chianti Classico a parfois fait grogner… surtout quand le second a mis en place la mention Gran Selezione en 2013, réservée aux meilleurs crus).
  • Pour l’amateur : la DOCG n’est pas la promesse d’un “meilleur vin” à tout coup, mais elle garantit une traçabilité et une cohérence que l’on retrouve dans la dégustation, même pour des années difficiles. C’est aussi une boussole dans un univers riche d’appellations parfois trop proches en apparence.

Bon à savoir : la superposition des labels n’empêche pas la créativité, au contraire ! De nombreux Super Tuscans restent en dehors des DOCG et brillent tout autant… preuve que le système encourage le sérieux, sans cadenasser le génie.

Les critiques et débats autour des différences DOC/DOCG

Derrière l’aspect flatteur du passage à la DOCG, subsistent quelques débats. Certains puristes trouvent que le système multiplie trop les DOCG, diluant la valeur de l’appellation : en 2000, on comptait moins de 30 DOCG ; aujourd’hui, il y en a près de 80 (source : Federdoc). Ce foisonnement peut rendre la lecture plus complexe, et ne protège pas toujours contre les débats de frontière ou d’interprétations des règles (exemple fameux : les polémiques autour des Barbera d’Asti et Barbera del Monferrato).

  • Les critères imposés (cépages, techniques) favorisent-ils vraiment la qualité, ou figent-ils les traditions ? Certains vignerons qui voulaient vinifier différemment sont passés en dehors des DOCG pour garder leur liberté (cas des vins “naturali” ou de “vignerons de garage” comme Valter Massa ou Emidio Pepe).
  • Il reste de vraies différences régionales : le sud de l’Italie, par exemple, compte moins de DOCG que le nord (Campanie, Basilicate, Calabre et Molise réunissent à peine 5 DOCG à elles toutes – source : Assovini.it).

Zoom sur quelques anecdotes savoureuses

  • La Franciacorta DOCG, championne du “champagne italien”, impose le bouchonnage à la ficelle (spago) pour ses plus hauts crus, une tradition héritée de la ferme volonté d’ancrer le style dans la ruralité lombarde du XIX siècle.
  • À Barolo, le débat sur la durée de vieillissement (minimum 38 mois dont 18 en fûts pour la DOCG) a donné lieu à un fameux “clash” entre modernistes (“Barolo Boys”) et traditionnalistes dans les années 1980, qui a façonné le style du cru. (documentaire : Barolo Boys. The Story of a Revolution)
  • Dans le Carmignano (Toscane), le DOCG obtenu en 1990 impose… l’ajout de cabernet sauvignon ou cabernet franc dans l’assemblage (jusqu’à 20 %), héritage d’introductions du XVIII siècle voulues par la famille Medici. Un DOCG “avant-gardiste” avant l’heure !

Le DOCG, reflet d’une Italie plurielle et exigeante

Le passage d’une appellation de DOC à DOCG, ce n’est pas seulement une question de bureaucratie ou de prestige, c’est l’aboutissement d’un long patient travail collectif : vignerons, consortia, communes… Il s’agit avant tout d’honorer ce que la terre et la main de l’homme savent offrir de meilleur, tout en inscrivant le vin dans une histoire et une géographie singulières.

Cette valorisation profite finalement à tous : le goût, les territoires, la transmission… et la curiosité des amateurs qui, en partant à la découverte d’une DOCG (connue ou discrète), s’offrent un bout d’Italie authentique, entre rigueur et émotion.

  • Pour connaître la liste actualisée des DOCG et DOC italiennes, la Federdoc est la source officielle de référence.
  • Un excellent livre pour approfondir le sujet : Vino. Istruzioni per l’uso de Gianni Fabrizio.

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