Quand la table italienne bouscule les règles : revisiter les accords vins et mets

21/09/2025

L’origine de l’accord classique : vin blanc & poisson, vin rouge & viande

Cette maxime, transmise de génération en génération, vient d’une logique ancienne, fondée sur l’équilibre et la complémentarité des goûts (source : Institut National de l'Origine et de la Qualité). Le vin blanc, réputé plus léger, frais et acide, aurait tendance à ne pas masquer la finesse des chairs de poisson, tandis que le vin rouge, corsé et tannique, ferait honneur à la puissance des viandes rouges.

  • Au XIX siècle, Auguste Escoffier écrit dans que “le poisson ne saurait supporter la rudesse d’un Bordeaux” – une phrase devenue leitmotiv, reprise jusqu’à aujourd’hui.
  • Côté Italie, les anciens traités comme “Il gastronomo” (1766) ou “La scienza in cucina” de Pellegrino Artusi valorisent la “pulizia” (pureté) du blanc pour les pêcheurs et la robustesse du rouge pour les chasseurs.

Mais entre tradition et expérience moderne, les papilles sont faites pour l’aventure. En 2021, une étude de l’université du Piémont a montré que seulement 47 % des Italiens suivent systématiquement cette règle, contre 62 % il y a trente ans (Corriere della Sera). Un vent de liberté souffle donc sur la table…

La science des saveurs : comprendre l’alchimie des accords

L’accord des vins avec les mets relève de la chimie autant que du goût. Quelques principes simples :

  • Acidité vs. gras : Les vins blancs sont souvent plus acides et se marient bien avec des poissons (riches en collagène et en iode), car ils “nettoient” le palais.
  • Tanins vs. protéines : Les vins rouges, riches en tanins, voient leur astringence adoucie au contact des protéines de la viande rouge.
  • Intensité des arômes : Un plat léger appelle un vin léger, une recette puissante tolère mieux un vin structuré.

Cependant, cette approche purement scientifique ne tient pas toujours compte de la diversité des terroirs ni des procédés culinaires régionaux.

Accords en Italie : diversité et nuances régionales

L’Italie, du Trentin à la Calabre, regorge de spécialités qui défient ces règles séculaires. Quelques exemples étonnants :

  • Le poisson à la toscane : Sur la côte Tyrrhénienne, le “Cacciucco”, riche soupe de poissons, se savoure traditionnellement avec un Chianti légèrement rafraîchi (source : Slow Food Editore). Les tanins doux valorisent la sauce tomate et les épices.
  • Viande & vin blanc dans le Piémont : Le “Vitello tonnato”, cet incontournable veau froid nappé de sauce au thon et câpres, trouve un écho parfait dans un Roero Arneis, blanc aromatique de la région. L’acidité du vin équilibre la rondeur de la recette.
  • Lambrusco & charcuteries d’Émilie-Romagne : Le vin rouge, pétillant et rafraîchissant, accompagne les mortadelles et prosciuttos, mais aussi l’anguilla (anguille) grillée, preuve que la légèreté compte autant que la couleur.

En Sicile, la célèbre “Caponata” d’aubergines, souvent servie avec du thon grillé, se marie aussi bien avec un Nero d’Avola rouge léger qu’un Grillo blanc vif.

Quand le vin blanc rencontre la viande : inspirations inattendues

Assez surprenant pour certains palais, l’accord vin blanc-carne réserve de belles surprises :

  • Pollo alla cacciatora (Toscane) : La volaille, mijotée avec tomate, olives et romarin, s’accorde admirablement avec un Vermentino di Toscana, dont la fraîcheur fait pétiller l’accord.
  • Bollito misto alla piemontese : Pour ce plat de viandes bouillies, un Gavi (blanc sec) vient alléger la richesse et révéler les subtilités de chaque pièce.
  • Tripes à la florentine : Un blanc de macération, comme l’Ansonica de l’île d’Elbe, avec ses arômes d’herbes et de noix, apporte une fraîcheur inattendue.

En France, ce type d’accord séduit de plus en plus. Ainsi, sur la carte de l’Atelier de Joël Robuchon à Paris, on trouve un mariage de lapin et Chassagne-Montrachet, plébiscité par les sommeliers (Le Monde, 2022).

Et le rouge avec le poisson ?

Ici le terrain devient plus original, mais quelques traditions italiennes sont là pour casser les idées reçues :

  • Poisson grillé & Frappato (Sicile) : Le Frappato, rouge très peu tannique, frais, accompagne parfaitement une dorade au fenouil grillée ou une truite à la sicilienne.
  • Baccala alla livornese : Ce cabillaud cuisiné à la tomate supporte très bien un Sangiovese toscan léger, travaillé en cuve inox pour limiter les tanins.
  • Anchois au Barbera : Recette piémontaise rustique, où les protéines et le gras des anchois tiennent tête à l’acidité mordante du Barbera (source : Accademia Italiana della Cucina).

Selon l’ouvrage “Wine Science” de Jamie Goode, si un rouge ne contient que peu de tanins et beaucoup de fraîcheur, il peut magnifier le poisson. Attention en revanche aux vins rouges puissants : ils laissent parfois une note métallique désagréable avec des poissons iodés.

Quelques conseils pour accorder vins italiens et plats sans complexe

  • Observez la sauce ! : L’accompagnement est souvent plus déterminant que le plat lui-même. Un poisson en sauce tomate ? Osez le rouge léger !
  • Soyez attentif aux tannins et à l’acidité : Les tanins adorent les protéines (viande, charcuterie). Trop puissants, ils “choppent” le poisson.
  • Température avant tout : Un rouge jeune un peu frais (14-15°C), un blanc servi autour de 10-12°C, voilà la clé pour que les arômes s’équilibrent.
  • Testez les rosés et les oranges : Les rosés de Cerasuolo d'Abruzzo ou de Chiaretto gardent du fruit et de l’acidité, parfaits sur des poissons grillés ou même un poulet rôti.
  • Fiez-vous au terroir : Un vin et un plat d’une même région se complètent presque toujours, car ils sont le fruit d’une culture culinaire façonnée par les générations.

Le goût, ce voyage personnel à la table italienne

Au final, l’accord parfait n’appartient à personne — c’est celui qui vous raconte une histoire, une émotion, une soirée partagée entre amis ou en famille. En parcourant l’Italie, on se rend vite compte que les règles, même séculaires, ne sont que des balises pour découvrir de nouveaux accords et se laisser surprendre.

Comme le dit si bien l’adage toscan : — celui qui ne boit que de l’eau a quelque chose à cacher. Alors, osez la curiosité, laissez-vous guider par vos sens et souvenez-vous que le plus beau des accords est souvent celui qui ne s’attendait pas.

Pour aller plus loin ou expérimenter vous-même, essayez lors d’un dîner d’associer un Pecorino d’Abruzzo sur une belle tagliata de manzo, ou un Pinot Noir de l’Alto Adige sur une lasagne au poisson. Les surprises ne manqueront pas… et peut-être serez-vous le prochain à inventer une règle ! Buon viaggio nei sapori !

Plats italiens Vins Blancs recommandés Vins Rouges recommandés
Sole grillée Verdicchio dei Castelli di Jesi Pinot Noir de l’Alto Adige (léger)
veau tonnato Roero Arneis Barbera d'Asti (léger, peu tannique)
Cacciucco Trebbiano toscan (sec) Chianti Classico (rafraîchi)
Polpo alla Luciana Fiano di Avellino Lambrusco rosso
Tajarin al ragù Gavi di Gavi Nebbiolo delle Langhe

Sources : Slow Food Editore, Accademia Italiana della Cucina, Corriere della Sera, Jamie Goode – Wine Science, Le Monde, guides Gambero Rosso.

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